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Chroniques
Les enfants terribles
opéra-ballet de Philip Glass
« Les privilèges de la beauté sont immenses. Elle agit même sur ceux qui ne la constatent pas ». Célèbre comme poète, dramaturge et cinéaste, Jean Cocteau n’en est pas moins un romancier de talent. En 1929, durant une semaine d’un laborieux sevrage à l’opium auquel il s’adonne depuis le décès de Raymond Radiguet, il écrit Les Enfants terribles, récit d’une fusion dévastatrice. Adolescents inséparables, Paul et Elisabeth vivent chez leur mère agonisante. Leur cohabitation troublante se poursuit alors même que la jeune fille épouse un riche prétendant, voué à une mort que connut avant lui Isadora Duncan. Quand Gérard, le meilleur ami de Paul, et Agathe, rencontrée dans une agence de mannequins, les rejoignent dans leur nouvelle demeure, la relation fraternelle vire au psychodrame.
En 1947, la radio s’empare de l’histoire – sur une musique originale d’Henri Sauguet – puis le cinéma, en 1950. Comme l’écrivit François Truffaut, « le meilleur roman de Jean Cocteau est devenu le meilleur film de Jean-Pierre Melville » – ce dernier ayant opté, quant à lui, pour le classicisme obsessionnel de Bach et Vivaldi. Il ne restait plus qu’à l’opéra de s’en saisir.
Considéré comme l’un des fondateurs du courant minimalistes et répétitif – lui contestera ce dernier terme –, Philip Glass, parmi tant de productions variées, s’est plusieurs fois inspiré de l’univers du Français : Orphée (opéra en deux actes pour ensemble et solistes, 1993), La Belle et la Bête (opéra pour ensemble et film, 1994) et Les Enfants terribles (dance-opera, 1996). Pour le metteur en scène Paul Desveaux, la rencontre des deux artistes semble une évidence : « La musique de Philip Glass est aussi névrosée que l’œuvre de Jean Cocteau. Elle a la légèreté des choses fragiles mais précieuses. Elle a une certaine mélancolie aux accents de gaîté. Elle collectionne les petits objets musicaux comme ces enfants terribles qui amassent dans leur chambre les choses insolites ». Ce soir, dans des éclairages souvent contrastés, cet opéra dansé jouit de la chorégraphie fluide d’Yano Iatridès, en écho à l’atmosphère de jeu que cultivent les protagonistes.
En fond de scène, trois claviers électriques s’animent parmi des arbres aux branches nues et torves. La neige commence à tomber et des boules blanches passent d’une coulisse à l’autre. C’est l’hiver, dans le ciel et dans les cœurs… Bientôt, des objets glissent sur les rails, descendent des cintres ou apparaissent sous la matière verdâtre recouvrant le sol, rendant hommage à la poésie visuelle du père de Dargelos.
Narrateur au profil rappelant certains croquis du poète, Damien Bigourdan paraît plus à l’aise comme comédien qu’en ténor. En Elisabeth, Myriam Zekaria séduit par sa grâce et son agilité, moins par un chant manquant d’ampleur et une diction laborieuse – à sa décharge, ses interventions sont souvent denses et rapides. Incarnant Paul, Jean-Baptiste Dumora s’avère un baryton sonore au timbre rond, à l’articulation maîtrisée. Avec sa couleur vocale un peu sombre et son visage délicatement expressif, Muriel Ferraro compose une Agathe attachante.
LB